La légende de Bagger Vance

Film de Robert Redford.
Avec Matt Damon, Will Smith, Charlize Theron.

L'histoire
Un jeune golfeur amateur, Rannulph Junuh, fiancé à Adèle Invergordon, une richissime héritière, de Savannah, revient traumatisé de la première guerre mondiale, perd le goût de la vie, de jouer au golf, et son amour. Sombrant dans l’alcool, il va devoir sa rédemption à l’organisation d’un tournoi de golf doté d’un prix de 10 000 $ par la riche héritière, où, comme représentant de la ville, il doit affronter, le temps d’un week-end deux grands champions : Walter Hagen et Boby Jones.
Proposé par le jeune Hardy Greaves qui est venu le chercher chez lui, il va sortir de son gouffre grâce à Bagger Vance qui sera son caddie lors du tournoi. Sorti de nulle part un soir où il s’entraînait pour retrouver le swing authentique qu’il a perdu, tel un ange gardien, il va permettre à Junuh de remonter la pente et de retrouver confiance en lui.

Sous le signe des rencontres et des relations avec les autres et soi-même

Rannulph Junuh et Adèle Invergordon
C'est un jeune couple prometteur qui attire le regard de tous tant leur amour rayonne dès le début du film, lors du bal.
Une rupture-mise-entre-parenthèses pendant la guerre et au retour dû au désenchantement et la dépression-déprime du golfeur qui ne se remet pas de ce qu’il a vu et vécu sur le front.
Une riche héritière qui veut que son golfeur joue à nouveau est prête à s’offrir à lui
Elle n’hésite pas à lui montrer sa déception face à sa déchéance, le provoquant à renaître, à retrouver celui qu’il était, pour danser à nouveau.

Retour à la confiance en soi
Tant grâce à la demande qu’est venu lui faire son jeune admirateur Hardy qui a collectionné bien des articles de presse sur son héros, que par les conseils que lui prodigue Bagger Vance lors de ses entraînements que lors de la compétition, notamment lorsqu’il l’invite à trouver son chemin ou qu’il lui donne un fer 4 au lieu d’un driver au début de la troisième manche pour rester, ce qui va surprendre et étonner tout le monde et qui va lui permettre de faire un très beau coup.
Il reprend confiance en lui à partir du regard que son ex-fiancée porte sur lui au fur et à mesure de son retour dans la partie de golf. On la voit comme prier pour lui (les deux mains jointes) pour qu’il réussisse son coup.
Son jeune admirateur « croit » en lui parce qu’il est son modèle, celui à qui il a envie de s’identifier, celui qui était le meilleur, pour son père, comme il le dit lors de la grande réunion pour déterminer quel sera le joueur qui représentera la ville de Savannah.
Il est honnête à deux reprises : en refusant le marchandage que lui propose Hagen de partager les gains (70% - 30%) et en déclarant que sa balle a bougé lorsqu’il a enlevé quelques brindilles à côté de sa balle, lors d’un des derniers coups qu’il joue.
Il doit se battre avec ses vieux démons qu’il veut noyer dans le whisky (sa tirade dans la cabane où il joue aux cartes est une perle, la soirée la veille du début du tournoi où les trois joueurs dansent successivement avec Adèle et sont photographiés avec elle révèle son malaise existentiel : autant elle est souriante, autant lui est figé) :
- le golf qu’il a abandonné, pense-t-il, définitivement ;
- son amour pour Adèle ;
- la guerre dont il est revenu. Le champ de bataille final, semé de morts, laisse apparaître une trouée rectangulaire dans les arbres qui est la même que celle d’un coup où Junuh a mis sa balle dans un bois, dont il doit ressortir et où il est comme paralysé. N’entend-il pas à ce moment-là les cris du champ de bataille, de ses compagnons d’armes qui sont tombés à ses côtés. Après les conseils avisés de Bagger Vance, comme un exorcisme, comme une réconciliation avec son passé et avec lui-même, il va pouvoir jouer sa balle, la faire sortir par le rectangle de lumière – « la porte étroite » (Mt 7,14) – et revenir au grand jour.

Un excès de confiance en soi ?
Au cours de la dernière manche du tournoi où il remonte son retard de façon incroyable, où tout semble lui sourire, - comme aidé par la grâce – il en oublie tous ceux qui l’ont aidé et prend son succès uniquement pour le sien, répondant aux journalistes, …
Il n’en fait qu’à sa tête et n’écoute plus les conseils de son caddie lorsqu’une de ses balles est tombée dans une « plage » de sable, a sixième trou avant la fin, vient rebondir sur une « lèvre » d’herbe parce qu’il n’a pas voulu prendre le club que lui tendait son ange gardien de caddie.

Adèle Invergordon
Au lieu de se morfondre lors du suicide de son père qui est incinéré et dont elle répand les cendres, elle doit affronter les conséquences de la crise économique de 1929 pour l’immense golf qu’a fait construire son père. Elle résiste aux quatre notables « vautours » qui viennent la réveiller pour la convaincre de ler vendre son golf. Alors qu’elle était si heureuse d’annoncer aux commerçants de Savannah qu’ils seraient les fournisseurs du nouveau complexe, elle ne peut tenir parole, obligeant certains à se reconvertir, comme le père du jeune Hardy Greaves qui, de commerçant se trouve acculé à balayer les rues de la ville. Dans son bureau, elle se redresse, fait preuve d’audace, dépasse l’enjeu économique, tente un coup de bluff et reprend le dessus en organisant un tournoi de golf doté d’un prix de 10 000 $ avec des deux très grands joueurs qu’elle va démarcher chez eux. Elle joue avec l’un comme l’autre de tout son charme et de toute son intelligence pour les convaincre jouant d’habiles arguments qu’ils savent entendre : l’aide à la Croix Rouge pour l’homme marié, les jeunes et jolies femmes pour le Don Juan.
C’est une femme raffinée et élégante. On ne saurait décrire toute sa garde robe dans le film, ni ses différentes coiffures (cheveux attachés, courts, avec ou sans chapeau) qui marquent l’évolution du temps dans le film.
Cette jeune femme de caractère va vibrer pour lui, ne succombe pas trop rapidement, sait se faire désirer, n’hésite pas à dire à Junuh ce qu’elle pense de lui à plusieurs reprises. Lors du tournoi, elle apparaît toujours au premier rang des spectateurs, légèrement à côté de Bagger Vance. A défaut de le faire chanter, elle va le faire à nouveau danser pour leur plus grand bonheur.

Qui est Bagger Vance ?
Tel l’ange Raphaël ("le Seigneur guérit", en hébreu) qui accompagne Tobie dans son voyage, il accompagne Junuh dans sa remontée et sa sortie de l’enfer. « Vous n’êtes pas seul. Je suis présent à vos côtés. Comme je l’ai toujours été. » déclare-t-il à Junuh dans l’ultime étape qui le sépare de sa guérison.
Tel l'ange qui combat toute la nuit avec Jacob (Gn 32, 23-33), il va combattre contre et avec Junuh pour lui permettre de donner le meilleur de lui-même et sortir de ses nuits
: nuit de l'isolement dans l'alcool et le jeu, combat avec lui-même et ses démons intérieurs à la suite de la guerre et combat pour la vie, un combat pour faire naître un homme nouveau, un adulte.
Il apparaît comme un fin et bon connaisseur de la psychologie humaine et c’est comme s’il connaissait parfaitement les étapes de la thérapie par lesquelles doit passer Junuh pour guérir de sa perte d’identité « Il est Rannulph Junuh et il n’est pas », déclare-t-il à Adèle à la fin de la première journée du tournoi.
Il reste bien mystérieux et énigmatique aux yeux de tous, restant dans l’ombre de celui qu’il aide et ne demande pas plus que ce qu’il avait demandé (les « 5 $ » promis au moment de se faire engager).
Il reste optimiste « le temps reste idéal pour la sortir de là, n’est-ce pas, monsieur ? » à un moment où sa balle s’est plantée dans le sable avant le premier trou du parcours. Il joue parfois les faux naïfs, obligeant Junuh à prendre ses responsabilités quant à son jeu. Il sait manier ses suggestions sans les imposer, laissant toujours Junuh prendre ses décisions. Il l’encourage quand il faut, soit par ses paroles, soit par un regard. Derrière son air de ne pas y toucher, il sait toucher l’amour propre de Junuh, non pas pour le couler, mais pour lui permettre de rebondir.
Après avoir mis sa balle dans l’eau lors du dix-huitième trou, il n’hésite pas à prêcher le faux pour avoir le vrai et permettre à Junuh de faire le choix de continuer de jouer jusqu’au bout la partie qu’il a commencé. Il en fait presque une affaire d’honneur. « Vous savez que je ne peux pas [arrêter]. » Après la première manche, il n’abandonne pas Junuh, mais vient discuter avec lui pour préparer le lendemain. C’est un grand observateur des personnes et de la nature humaine. Il décrit avec précision la méthode de Jones, lors du départ du premier trou de la deuxième manche. C’est au cours de cette manche qu’il va rattraper une partie de son retard, n’ayant plus que huit points de retard.
Il semble être le seul à ne pas être surpris par le parcours de Junuh ni par sa remontée par certains coups qui tiennent du miracle, par exemple lorsqu’il « fait un coup en un » (sur un chant qui ressemble à celui des anges) va rameuter tout le village qui était parti vaquer à ses occupations (chez le barbier pour deux hommes, avec son balai dans la rue pour le père d’Hardy).
A aucun moment, il ne cherche à s’imposer. Au contraire, il invite Junuh à « choisir » de « quitter le royaume des ombres » et à choisir la lumière.
Il semble aussi omniscient répondant à Junuh dans le bois ce qu’il avait dit quelques instants plutôt à Adèle qui l’avait prise à l’écart derrière un arbre « ce n’est qu’un instant. »
Il décide de lui-même de disparaître avant le trou final, sans chercher les honneurs, ayant permis à Junuh de retrouver son talent et ayant transmis au jeune Hardy Greaves sa responsabilité de caddie et de conseil au champion de Savannah.
Il montre le chemin tant à Junuh pour vivre « son parcours » qu’au vieil Hardy Graves lorsqu’il se relève et reprend son caddie lors du plan final.
Finalement, il permet aux uns et aux autres véritablement eux-mêmes quand il estime qu’ils n’ont plus besoin de lui, en leur faisant confiance, en leur permettant d’exploiter ce qu’il leur a appris et en croyant en leur capacité adaptation.

Le golf, une parabole de la vie
Le tournoi est une belle promenade dans la nature où chaque joueur est affronté à lui-même, avec sa petite balle. Chacun dispose du même terrain, du même
matériel, des mêmes obstacles, d’une certaine malchance et d’une dose de chance, comme au sixième trou de la première journée où la balle de Junuh vient rebondir sur le poteau qui indique le trou.
Si, à la fin du premier jour du tournoi, Junuh compte 12 points de retard sur ses deux adversaires, c’est le deuxième jour où il remonte la pente avant de les rejoindre définitivement sur la ligne d’arrivée.
Le film joue aussi sur les ombres et les lumières, sur la nuit et le jour, qu’ils soient intérieur ou extérieur, leur contraste et le passage possible de l’un à l’autre.

P. Olivier Joncour

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